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Aissa Dione

In SOMETHING WE AFRICANS GOT #5
Texte de CAROLE DIOP 

Les textiles sur le continent ne se caractérisent par une grande variété de matériaux – le plus souvent tissés – et par une palette de couleurs vives. Ces étoffes ne se limitent pas à la seule fonction vestimentaire, elles participent à la construction de l’histoire culturelle des sociétés, et ce depuis des millénaires (les plus anciens fragments de tissus connus et datés en Afrique subsaharienne ont été découverts dans des tombeaux dogons au Mali).

À l’origine, les tissus africains tels que le kente ou kita des Ashantis (Ghana et Côte d’Ivoire), le tissu adinkra des Akans (Ghana, Côte d’Ivoire), le bogolan des Dogons (Mali), le Faso dan Fani (Burkina Faso) ou encore le pagne tissé manjaque (Guinée-Bissau et Sénégal) étaient destinés à des occasions particulières (mariages, rites de passage, cérémonies, etc.) ou réservés aux notables. On leur attribuait même un caractère sacré et des vertus thérapeutiques.

Le kente, par exemple, fait de coton et de soie et composé de bandes de tissu cousues ensemble pour former des motifs et des figures aux couleurs vives, tient une place importante dans la culture et l’économie de plusieurs peuples. Symbole de noblesse et de prestige, il était réservé au roi et à sa cour, révélant ainsi le rang de celui qui le porte. Le bogolan (terme qui désigne à la fois le tissu et un style particulier de teinture à base de plantes) est, lui, considéré comme imprégné d’énergie vitale et était doté autrefois d’une valeur de protection pour ceux qui le portaient. Selon la forme ou la couleur des motifs, il pouvait protéger les chasseurs, les femmes enceintes, les personnes âgées ou encore les nourrissons.

Le Faso dan Fani, quant à lui, est devenu un emblème politique avec l’arrivée au pouvoir de Thomas Sankara, qui l’érige alors en symbole du patriotisme burkinabè et en fait un outil de promotion du savoir-faire local. Il va jusqu’à imposer par décret le port de tenues réalisées en Faso dan Fani à ses fonctionnaires. « Porter le Faso dan Fani est un acte économique, culturel et politique de défi à l’impérialisme », avait coutume de dire Sankara. Dans un pays où la culture du coton non génétiquement modifié est l’un des premiers revenus nationaux et où la tradition du tissage est très ancienne, ces pagnes en coton lourd sont très rapidement devenus incontournables.


Chacun de ces textiles est donc signifiant par nature. Les motifs et symboles choisis sont en effet lisibles comme l’identité d’un peuple. Si leur utilisation est légèrement tombée en désuétude, ils demeurent la base des productions de vêtements de fête et d’apparat et constituent une source d’inspiration pour de nombreux créateurs ; ils s’exportent à l’étranger et sur les podiums des fashion weeks européennes (des stylistes occidentaux se sont notamment inspirés du bogolan pour leurs créations, comme l’américain Oscar de la Renta en 2008 et la marque italienne Marina Rinaldi en 2013), souvent à travers la reproduction de motifs sur des tissus dont la fabrication est éloignée du travail des tisserands traditionnels


Les étoffes anciennes peinent également à rivaliser avec les tissus imprimés (communément appelés « pagnes ») qui dominent le marché textile africain. Parmi ces tissus importés, il faut distinguer le wax hollandais, fabriqué de manière industrielle par des entreprises telles que Vlisco, le leader néerlandais du marché mondial, et le fancy ou les copies chinoises façonnées par impression directe, qui sont moins résistantes, de moindre qualité, mais accessibles à un prix plus abordable. Les traditions tissées d’Afrique de l’Ouest, bien qu’elles conservent une grande valeur sociale, sont en péril. Pour leur redonner leurs lettres de noblesse, nombreux sont les artistes qui ont choisi de les célébrer et d’œuvrer à leur préservation en intégrant le textile à leur pratique.


C’est le cas d’Aissa Dione, créatrice textile et artiste protéiforme qui n’a de cesse de valoriser ces savoir-faire ancestraux, de réinterpréter et de sublimer ces étoffes anciennes pour les transformer en tissus destinés à l’ameublement et à la décoration. Elle développe également une ligne de mobilier qui marie ces tissus à des essences de bois nobles. Hermès, Fendi Casa, Jacques Grange, Christian Liaigre, Peter Marino : Aissa multiplie les collaborations et accumule les clients prestigieux. Peintre, designer, styliste, galeriste, chef d’entreprise : Aissa Dione est en outre une artiste au croisement des cultures française et sénégalaise. Elle est parvenue à hisser le tissage ouest-africain au rang d’œuvre d’art. Son but est de prouver qu’un développement économique endogène est possible, en utilisant les ressources locales, aussi biens matérielles qu’humaines, et en reliant le savoir-faire traditionnel aux compétences industrielles. Le vecteur commun de cette démarche : le design contemporain. (…) Retrouvez la suite du texte dans SOMETHING WE AFRICANS GOT #5

SOMTEHING WE AFRICANS GOT #5
Carole Diop