In SOMETHING WE AFRICANS GOT #8 Avril 2018 Interview Olivia Anani
Didier Claes, né à Kinshasa, est aujourd’hui un des marchands les plus réputés du monde de l’art africain. Dans un univers de marchands européens et américains, il détonne par son énergie, son audace et surtout, son expertise. Dans cette interview, il revient sur ses premiers pas dans le métier à Kinshasa, sur la question du retour des œuvres et sur ce qu’il considère être aujourd’hui, un âge d’or pour les arts classiques d’Afrique.
INTERVIEW
Olivia Anani : Commençons par votre parcours, qu’est-ce qui vous a amené à faire ce métier ?
Didier Claes : Si on veut reprendre l’histoire dès le début, le tout début, c’est bien entendu ma naissance en Afrique. Tout part de là et c’est important pour moi de le dire. Je suis né à Kinshasa, au Congo, qu’à l’époque on appelait encore Zaïre, d’une mère congolaise et d’un père belge, mes parents se sont rencontrés à la faveur d’un voyage de mon père, à la recherche d’œuvres.
C’est un beau début!
Oui, parce que sans ce concours de circonstances, je ne serais pas là, et je n’en aurais certainement pas fait mon métier. Je dis toujours avec un sourire que je suis, comme un certain personnage de BD, tombé dans la soupe étant petit. À cela près que mon père n’était pas marchand au sens strict du terme. Il travaillait à l’époque pour des musées, qui bien sûr à Kinshasa ne payaient pas grand-chose. Ils toléraient donc que les chercheurs qui travaillaient dans ces institutions, acquièrent et vendent indépendamment et à titre personnel, des œuvres pour s’assurer un complément de revenu.
C’est un arrangement assez surprenant, de la part d’une institution.
Il travaillait donc pour le Musée de Kinshasa?Oui, celui voulu par Mobutu à l’époque. Son rôle était assez ambigu, travaillant pour une institution et opérant en même temps, à titre personnel. Il était aimé et détesté à la fois. Et j’ai des souvenirs très vivides, étant enfant et adolescent, des week-ends et des vacances scolaires passés dans la brousse à la recherche d’œuvres. C’est une partie de l’histoire qui intéresse peu en général, mais c’est réellement là, sur le terrain, que j’ai acquis les bases qui m’ont permis d’évoluer par la suite, lorsque j’ai commencé à exercer en tant que jeune marchand
Quand arrivez-vous en Belgique ?
Vers 16-17 ans. Je commence tout doucement à faire de petits boulots, à travailler depuis ma chambre. J’achète des pièces que je revends ici et là à des marchands, petit à petit je deviens courtier. Je côtoie le monde marchand et je fais également plusieurs voyages en Afrique. J’avais ce rêve de peut-être pouvoir trouver encore des objets au Congo, en Centrafrique, même si j’arrivais déjà un peu tard. J’ai fait ces voyages, seul, car étant en froid avec mon père, pendant près de cinq ans. C’est là aussi un point qui me paraît important car c’est une expérience que les marchands aujourd’hui n’ont plus. Ce temps des découvertes sur le terrain était déjà révolu quand je faisais ces voyages, mais je suis heureux d’avoir pu le toucher du doigt par ceux que je faisais enfant, avec mon père. C’est une école fantastique.
Mon expérience de revendeur m’a permis de connaître tous les marchands, de les côtoyer, de comprendre quelles œuvres se vendent mieux et lesquelles se vendent moins bien. Très vite, j’ai ouvert une galerie, il y a une vingtaine d’années. Et très vite également, je me suis tourné vers les États-Unis. À vrai dire, une des raisons de cet intérêt pour la scène américaine venait de la résistance à laquelle je me heurtais en Belgique. Plus qu’une question de racisme ou autre raison similaire, c’était surtout dû au fait que je sois un revendeur, et il était mal vu pour un revendeur de devenir… vendeur. Ce qui était d’ailleurs de bonne guerre. Ils se trouvaient face à ce fournisseur qui tout d’un coup, voulait vendre des œuvres à leurs clients. Je n’en ai donc pas fait une affaire personnelle, j’ai constaté une situation préexistante et ai décidé de passer outre et de me tourner là où je pouvais exercer. Il se trouve que beaucoup de ces revendeurs, la quasi-totalité disons, étaient africains, puisque c’étaient eux qui ramenaient les œuvres d’Afrique. Pour moi, congolais et belge à la fois, avec le nom qui est le mien, j’ai juste fait ce choix de passer outre
Comment passent les premières années de cette transition ?
Je me tourne vers l’Amérique, où je suis assez bien reçu. Libéré tout d’abord de cette étiquette du fournisseur, on me connaît comme le marchand Didier Claes. Les affaires marchent bien, et j’ai même l’ambition de créer une galerie, avant la crise du 11 septembre. Il y a un revirement de situation et je finis donc par ouvrir ma galerie… à Bruxelles. Les premières années ont été très dures. On ne m’a pas fait de cadeau. Les marchands se sont empressés de dire à leurs clients tout le mal qu’ils pensaient. Période très dure, donc, mais finalement assez courte car cela duré deux, trois ans. J’ai décidé de ne pas tenter coûte que coûte de plaire à ceux à qui je déplaisait tant. Mais plutôt de me construire progressivement un réseau qui me soit propre. J’ai réalisé que pour toute personne à qui l’on déplaisait il y en avait une à qui l’on plaisait et qui était prête à vous faire confiance, avec laquelle il était possible de créer des liens durables. J’ai fini au bout de quelques années, de fil en aiguille, par rencontrer un collectionneur assez important, que j’ai accompagné dans la constitution de sa collection.
J’ai ensuite entamé un marathon de foires, dont le premier Parcours des Mondes, il y a 14 ans, lorsqu’il s’appelait encore « KAOS » ; la BRAFA, dont je suis aujourd’hui le vice-président, est une foire à laquelle je participe depuis 15 ans; la Biennale (des Antiquaires), Maastricht, Frieze… Et même le premier Salon de l’Art Tribal sur les Champs-Elysées, à l’Hôtel Dassault, où se trouve aujourd’hui Artcurial
Après plusieurs années de travail à acquérir une réputation de marchand compétent, honnête, avec un réel œil pour les pièces exceptionnelles, j’ai ouvert une seconde galerie, plus belle, plus grande, il y a un peu plus de dix ans, et cela a été un beau tournant et le début d’une nouvelle étape
Parlez-nous un peu plus de cette intermède américaine… quelles foires, quel contexte, quel profil de clients?
J’ai participé à l’Armory Show. Tout a commencé en fait par la BRUNEAF… à laquelle on venait de me refuser l’entrée, la toute première fois, toujours en raison de mon statut initial de revendeur. J’ai fini par en devenir le Président. C’était en 2001… il y a 17-18 ans… Refusé donc, je décide de partir pour les Etats-Unis. Avec quelque précaution car je savais déjà que l’Amérique peut tout vous donner, et tout vous prendre. Je garde un souvenir vraiment indélébile de cette première participation à l’Armory Show, cette énergie incroyable, j’y ai été vraiment bien accueilli. Pour le public américain, quoi de plus naturel que de voir un africain, ou un métisse en l’occurrence, peu importe, défendre des œuvres d’art africain ? Tout ce qui en Belgique était pour moi un handicap, se voyait transformé là-bas en force, le public était en demande de profils comme le mien. De plus, je leur rappelais Merton D. Simpson (1928-2013), qui était, notamment dans les années 1980, de 1975 à 1985 environ, un des plus grands marchands d’art africain au monde; il se trouve que c’était un afro-américain. Jeune, j’entendais déjà parler de lui à Kinshasa, et ce n’est que 30 ans plus tard que j’ai appris qu’il était Noir. Merton a fait rêver, c’était un vrai personnage : il était en plus d’être marchand, artiste, musicien de jazz…
Parlant de collections emblématiques de cette époque, j’ai appris récemment que Geoffrey Holder, acteur, auteur, photographe exceptionnel et époux de la danseuse Carmen de Lavallade, était aussi collectionneur d’art africain.
Je l’ignorais, mais cela ne m’étonne pas. On serait surpris du nombre de personnes qui discrètement, se forment dans l’ombre, d’extraordinaires collections. Il y a tant de choses à faire dans mon métier, on n’aurait pas assez d’une vie pour tout accomplir. Je me sens vraiment privilégié de faire ce que je fais. Il est vrai que je n’ai pas fait de grandes études, que je me suis formé sur le tas. Je me suis lancé à 18 ans, et ai été formé par ceux qui venaient avant moi, notamment par un ethnologue pendant cinq ans. J’aurais peut-être mieux fait d’aller à l’université pour décrocher un diplôme dans cette discipline! Mais la somme de tout ce que j’ai appris me permet aujourd’hui de dialoguer d’égal à égal avec les personnalités les plus importantes, tout simplement parce que je suis en position de leur apporter un savoir qu’elles ne possèdent pas. C’est un privilège de faire ce métier. J’ai eu par exemple, l’occasion de côtoyer le président Jacques Chirac pendant quelques années, dans le cadre d’une exposition, puis par amitié. On peut en penser ce qu’on veut, c’est un président, qui de plus vous donne de son temps parce qu’on touche, non à des statistiques, mais bien à un sujet qui le passionne, ce n’est pas rien. Lorsqu’il visite la Biennale à Paris, et reste un long moment sur mon stand, c’est le genre de choses, très touchantes, qui vous laissent une forte impression. Si j’étais entrepreneur, par exemple, pour le rencontrer il aurait fallu que je m’appelle Bernard Arnault. En tant qu’antiquaire c’est différent, on touche à quelque chose d’émotionnel; c’est ce qui est fabuleux dans ce métier.
Autre anecdote amusante que je raconte au passage, j’ai un ami congolais avec qui je faisais les classes en Belgique et qui est, on pourrait dire, l’intellectuel par excellence. Un élève appliqué, qui rêvait de devenir chef d’entreprise ou ingénieur. Nous avions de petites disputes parce que je m’intéressais peu à cette voie, lui s’inquiétait de mon avenir, me disait: « Didier tu finiras mal, reprends-toi. Tu ne veux pas finir ton année, tu ne veux pas aller à l’université, tu n’auras jamais de travail, tu ne feras rien de ta vie ». Et moi, je voulais juste en finir au plus vite avec les études et retourner à Kinshasa. Nous nous sommes perdus de vue pendant 10 ans et un jour, alors que je me rends dans un hôtel pour un rendez-vous avec justement, le président Jacques Chirac, je retombe sur cet ami. J’arrive avec ma voiture de sport, j’en avais une à l’époque, mais plus maintenant
On s’assagit avec le temps?
Oui, je roule aujourd’hui en Mini Cooper mais évidemment, lorsqu’on est un jeune homme, de Kinshasa en plus, et que l’on gagne un peu d’argent, le premier achat c’est une belle voiture. Il faut l’assumer, on le fait au moins une fois. (rires)
Contre toute attente, je retrouve mon ami, qui était donc doorman dans ce palace à Bruxelles. J’ai fait des petits jobs de doorman dans mon parcours, mais lui était universitaire, et c’était un choc. Heureux de se revoir, on se dit bonjour avec le sourire, on échange un peu et il me demande ce que je fais là. Je lui dis avec un peu d’hésitation, que j’ai rendez-vous avec le président Chirac. Incrédule, il se lance dans un fou rire en me disant : « Didier tu n’as pas changé, tu aimes toujours autant faire des blagues! » Et au milieu de son fou rire arrive une Citroën sombre, puis une seconde avec le drapeau de la France, de laquelle sort le Président, qui se fend d’un « Mon cher Didier! ». Après le rendez-vous, en ressortant de l’hôtel, je demande d’après mon ami et on me dit « Il n’est pas là, il est rentré chez lui. »
Bref, tout cela pour dire que je me sens extrêmement privilégié de faire ce travail. Malgré toutes les difficultés, et en partant de peu, j’ai commencé sans nom, sans connexions, sans collection familiale. J’ai financé mes premiers voyages en alignant deux mois de retard sur mon loyer et avec l’aide d’un prêt concédé par mon ex-femme… Pour en revenir à ce que nous disions sur tout ce qu’il reste à faire, j’ai vraiment la conviction que nous vivons dans mon métier, un âge d’or. Tout reste à faire.
Un âge d’or, vraiment?
Oui, un âge d’or. Je suis quelqu’un d’un peu nostalgique, j’aime tout ce qui est ancien, j’écoute de la musique ancienne, je regarde de vieux films, tout chez moi porte la marque d’époques passées. Je vis dans ces histoires, que j’évoque souvent avec un ami qui travaille dans l’art: « Tu imagines ce que c’était de vivre les sorties d’objets dans les années 70, tu imagines ce que c’était la guerre du Biafra ? » etc. Et mon ami me répond toujours : « A chaque époque ses histoires ». Je n’ai pas vécu la sortie des objets, certes, mais à notre époque il y a tous ces échanges autour de la question des restitutions, notamment au Bénin. Je suis un des quelques marchands à être passionné par ce sujet, et à militer en faveur d’un retour des œuvres, je me suis d’ailleurs fait des amis! (Rires). Et quelque part, le fait d’être arrivé après la sortie des objets, me légitime un peu plus dans cette mission, et je suis rétroactivement, heureux de ne pas en avoir fait partie.
Je pense qu’il est important de nuancer le débat et dans ce contexte l’implication des marchands est à mon sens, essentielle. J’ai vécu avec mon père les achats d’objets. Il faut se dire que tous ces objets appartenaient à des personnes physiques. C’est comme se rendre dans la France profonde, aller dans les familles, à leur domicile, et acheter les crucifix au mur ou les meubles anciens. Ces gens avaient le droit de vendre des objets qui leur appartenaient physiquement, et qui pour certains, étaient des commandes passées au sculpteur local, et achetées à lui pour leur usage personnel. C’est le commerce de l’art, le commerce tout court, et il ne devrait pas y avoir d’amalgame pour ce type d’acquisitions. Maintenant il y a des contextes tout à fait différents.
... Comme le Bénin, justement, où on sait que les objets ont été acquis suite à une expédition militaire.
Et suite au pillage du palais. Là il y a eu confiscation, il y a eu violence et ce sont des objets importants, représentant un patrimoine, l’histoire d’un peuple. C’est un cas tout à fait différent et les gens ne veulent pas, ou plutôt font semblant, de ne pas le comprendre. Et bien sûr il y a le rapport Savoy/Sarr qui a suscité lui aussi, de vives réactions.
Pour moi il n’y a pas un débat, mais plusieurs. Je me souviens, lorsque j’avais 7 ou 8 ans, d’une négociation menée par mon père, qui avait duré plusieurs années, pour l’acquisition d’une pièce Hemba. Le village s’était réuni et avait décidé de vendre la pièce afin de lancer la construction d’un pont qui permettrait aux enfants du village de rallier l’école la plus proche en un quart de la distance habituelle, peut-être 5 km au lieu de 20. Je ne me rappelle plus des distances exactes. Cela avait donc duré plusieurs années, ils avaient demandé à ce que mon père s’occupe personnellement de la construction du pont.
Il faudrait plus de consultations réelles entre professionnels du marché autour du sujet. On me dit souvent: « Ecoute, Didier, tu es toi-même marchand, imagine, tu vas te retrouver avec des demandes de remboursement ou de restitution de pièces déjà vendues ». Et moi je leur explique qu’il y’a plusieurs cas distincts, et qu’il est naturel que les pays africains puissent se doter d’une partie de leur patrimoine. La France a bien des lois permettant de protéger et de conserver son patrimoine national à l’intérieur des frontières. Il y a quelques années, cette loi avait d’ailleurs été appliquée pour une pièce du Bénin justement, une grande statue en bronze qui avait été considérée comme faisant partie du patrimoine français, vendue par un marchand qui n’avait pas eu l’autorisation de la faire sortir du territoire.
Et dans ce contexte, quel est votre avis et vos liens éventuels avec Sindika Dokolo, qui est aussi très actif sur le sujet?
J’ai rencontré Sindika il y a cinq ans environ. Il y a ce lien dû au fait qu’il est comme moi, congolais, et ça a toujours été pour moi un rêve de vendre des objets d’art africain à des collectionneurs africains… des collectionneurs africains, j’en rêve par centaines, juste parce que cela devrait être d’un naturel. Sindika est quelqu’un d’assez discret, je ne pourrais donc pas dire que je le connais parfaitement, mais pour ce que j’en ai vu, et j’ai quand même quelques années de métier, c’est un vrai et réel passionné.
Et qui s’engage depuis de nombreuses années, y compris pour l’art contemporain. Je pense notamment à son implication dans le premier pavillon « africain » de la Biennale de Venise en 2007.
Tout à fait, beaucoup ont parlé d’une volonté soupçonnée de s’acheter une bonne conscience, mais je n’y crois pas. Pour ce que j’en ai vu, c’est un vrai amateur d’art, un « fou des objets », comme on dit dans le milieu. Il est également un homme d’affaires redoutable et ce profil de clients, j’en ai quelques-uns. Lorsque que je les appelle au milieu d’un rendez-vous, peu importe son importance, ils me répondent immédiatement. Pourquoi? Parce que la passion des objets les saisit de l’intérieur, et Sindika est de ceux-là. Je lui ai vendu quelques objets, c’est un acheteur difficile car il veut vraiment les meilleures pièces, mais c’est un bonheur de lui vendre des œuvres. Et pas que pour l’aspect financier, d’autres clients pourraient payer le même prix pour les mêmes objets, mais il est vrai qu’il y a certaines pièces que je réserve à Sindika en priorité, parce que c’est un passionné.
Il y a bien sûr cette grande proximité qu’il a, de par sa femme, avec l’ancien président Dos Santos, et tous les avantages, assumés ou non, qui en découlent dans un pays comme l’Angola, mais je remarque aussi la transition démocratique qui vient d’avoir lieu dans ce pays. L’Angola, j’y ai été une dizaine de fois, et j’ai vu le pays le mieux organisé d’Afrique Centrale. Je viens du Congo, la comparaison est difficile, il y a (en Angola) des routes fantastiques, il y a des logements sociaux. Mais ça, personne n’en parle. Ça n’intéresse pas les journalistes
Je partage votre avis sur l’Angola. Je n’y ai jamais été, mais je garde un souvenir assez saisissant des étudiants angolais en Chine au milieu des années 2000 déjà, de tout le confort qui leur était apporté par leur gouvernement, notamment en ce qui concerne les compléments de bourse ; je pense aussi à tout le matériel de propagande en faveur de l’investissement, avec lequel il se présentaient lors des festivals culturels organisés à l’Université des langues et cultures de Pékin. Il y avait des pamphlets sur le tourisme et l’industrie, des casquettes, des drapeaux, des bannières… un vrai kit marketing prêt à l’emploi. Cela est loin d’être anodin quand on considère l’importance stratégique, politique et économique d’un pays comme la Chine pour les pays africains. Et cela se voyait aussi dans les publicités diffusées sur les chaînes internationales comme CNN, des spots invitant à investir dans le pays. On sentait qu’il se passait quelque chose en Angola, en faveur du développement. Un pays que depuis Abidjan, j’ai connu toute mon enfance exclusivement sous le prisme de la guerre civile, jusqu’au début des années 2000.
C’est exactement ce dont je parle
Autre point, concernant les collectionneurs africains. Je regarde souvent le marché de l’art asiatique en comparaison, et c’est fascinant de voir comment les collectionneurs chinois ont repris la main sur le marché de leur art classique. Et cela en 10-15 ans. Il y a 30 ans, l’art chinois était lui aussi une affaire de collectionneurs et de marchands européens et américains, en dehors de quelques exceptions comme C. T. Loo, marchand dans les années 30. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Le cœur du marché est désormais Hong Kong, où se passent les ventes les plus spectaculaires, et où les plus grands collectionneurs se sont réappropriés les pièces, impériales notamment. Et cela se voit aussi du côté des experts, une personnalité comme Nicholas Chow de Sotheby’s est une star absolue sur le marché, et une figure qui parle aux collectionneurs locaux. Je nourris ce petit rêve de voir la même chose se produire pour le marché de l’art africain. La question des spécialistes, notamment, est aussi essentielle je crois, que celle des collectionneurs car ce sont aussi eux la face du marché ; les spécialistes et experts décident ou non d’inclure des œuvres, décident du contexte dans lequel elles seront présentées, à quel prix, avant de finalement les défendre auprès des collectionneurs.
J’ai bien le même rêve, et aussi concernant les spécialistes, pour peu qu’ils soient compétents.
La compétence s’acquiert, notamment au contact de pièces exceptionnelles, d’où aussi l’importance pour les étudiants, le public et les jeunes professionnels d’avoir accès aux œuvres sur le continent, pour leur éducation. Oui, il faut mener des actions concrètes, déjà sur le continent. J’étais en 2017 à Kinshasa, et ça me tient à cœur d’y aller souvent, dans ce cas précis, pour une conférence qui réunissait hommes d’affaires, politiciens et personnalités congolaises, pour leur parler d’art. L’organisatrice de cette grande rencontre est passionnée d’art africain, et m’avait donc demandé de leur en parler. Les interactions ont été fantastiques. Des collectionneurs africains, j’en ai quatre bien engagés, un congolais, un sénégalais, un nigérian, mais Sindika est effectivement un porte étendard formidable car il a les moyens de le faire à grande échelle, et surtout il en parle positivement. Un collectionneur en ramène un autre et j’espère que cela continuera à prendre. Et dans ce cadre, les maisons de vente aux enchères ont aussi un rôle à jouer
En plus des maisons de vente et des collectionneurs, les institutions enfin, sont essentielles. L’ouverture du Pavillon des Sessions au Musée du Louvre avait fait l’effet d’une bombe : enfin, l’art africain était reconnu, il était entré au Louvre. Et avec le quai Branly, il est tout simplement passé à un autre niveau. C’est à ce moment que les prix ont commencé à monter, et c’est pourquoi je parle d’ailleurs, d’un âge d’or. Retrouvez la suite de l’interview dans SOMETHING WE AFRICANS GOT #8
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Avril 2018
Olivia Anani