In SOMETHING WE AFRICANS GOT #6 Texte de Jamal Boushaba Juillet 2018
Au Maroc, la grande majorité des créateurs de mode investissent le caftan, cette tenue de cérémonie crypto-traditionnelle dont toute bourgeoise marocaine doit arborer plusieurs exemplaires originaux lors de la saison des mariages ou durant les longues veillées ramadanesques. Tel n’est pas le cas de Noureddine Amir qui, dès ses débuts, s’est engagé dans un processus de création très élaboré, proche de la sculpture. Encensé par la presse nationale et exposé dans les musées internationaux, le designer est le premier Africain à être adoubé par la Chambre syndicale de la haute couture française. Parcours.
Une mère artiste frustrée, faisant régner un vent de liberté.
Nourredine Amir. Il est né en 1967, à Rabat, a. Au sein d’une modeste famille de Yacoub El Mansour, ce grand quartier pauvre de la capitale du royaume. Il perd son père vers l’’âge de cinq ans. « « Ma mère a travaillé dur à l’extérieur pour nous élever mes sœurs, mes frères et moi » », , se souvient-il. Une fratrie de cinq dont il est le dernier. Les jours de relâche, la mère s’occupe à tisser des tapis. C’est une Berbère de l’’Atlas. « « Elle pouvait passer des heures devant son métier. C’’est elle qui choisissait sa laine brute et la faisait teindre aux couleurs de son goût ».. » Une fois son tapis fini, elle le plie et le range soigneusement dans un placard dont il ne ressort jamais. Au fil des années, la pile s’allonge. Mais jamais, au grand jamais, ces tapis-là ne sont utilisés. Pourquoi ? « « C’est un mystère ! Enfant, cette chose m’a beaucoup marqué »
Noureddine Amir raconte une maison où il n’y avait pas beaucoup d’argent, mais où pas mal de gens passaient. Un vent de gaîté et de liberté y soufflait. Nous connaissons le designer depuis de fort nombreuses années. C’est la première fois qu’’il nous parle de son enfance et de sa mère. Nous sommes au mois d’août 2018. Dehors, c’est la fournaise estivale de Marrakech. Dans le séjour sobrement meublé, très 1930, de cette petite villa du quartier Salmia (?), le climatiseur distille sa fraîcheur. Les grandes baies vitrées donnent sur un petit jardin touffu, ombragé, faussement négligé, doté d’un plan d’eau en guise de piscine. Il se laisse aller à la confidence. « « Ma mère était une artiste. Une artiste frustrée. Avant son mariage, elle était reconnue dans son village pour sa très belle voix. Elle a toujours regretté de ne pas avoir mené une carrière de chanteuse. Elle en a été vengée par ledu fait que mes deux frères sont devenus musiciens. De bons musiciens. Ils jouent aussi bien du chaâbi que de l’oriental. L’’un d’eux compose. » »
Le designer de mode et sculpteur de robes-armatures qu’’il est devenu a-t-il jamais sérieusement réfléchi à cette filiation-là ? Une mère chanteuse à laquelle la vie a refusé de tendre le micro. Mais surtout, une mère tisserande qui refusait que ses tapis ne soient jamais déroulés ni jamaisou foulés. Pénélope moderne d’’un genre nouveau… Lui, dont on verra plus loin les rapports étroits, charnels, avec la matière. Lui, l’auteur de ces belles et étranges vêtures si peu portables ! Nous ne lui poserons pas la question. Noureddine Amir n’’est pas de ces créateurs verbeux. Nous parlons en français. Une langue dans laquelle il s’exprime avec aisance sans pour autant en maîtriser toutes les règles.
Un mentor, Hamid Ferdjad. Une rencontre, Sherin Neshat. Une œuvre à l’exacte intersection entre la mode et l’art.
C’est en 1996 qu’ilil obtient un double diplôme en stylisme et en modélisme d’Esmod Casablanca. Par ailleurs, Noureddine Amir a trouvé son mentor. Hamid Ferdjad est un Iranien installé au Maroc. C’est un esthète cosmopolite, œuvrant dans le cinéma. L’aîné recommande son jeune protégé à la célèbre artiste contemporaine et cinéaste irano-américaine Sherin Neshat. Dès 1999, celle-ci emploie le jeune Marocain comme costumier de plateau lors de ses nombreux tournages, au Maroc – — où elle reconstitue l’Iran de son enfance, celui d’avant la révolution islamique – –, mais aussi à New York où elle possède son studioatelier. À son contact et à celui de son équipe, Amir se frotte à l’art contemporain le plus international et le plus pointu de l’heure. C’est une formation inespérée pour l’’ex-enfant de Yacoub El Mansour. Il retiendra sa leçon. Désormais, à côté d’’une gamme de prêt- à- porter de luxe, ultra basique et plutôt masculine, constituée de vestes, chemises et pantalons aux lignes fluides, taillés dans des matières simples et naturelles (lin, coton, soie et laine froide), avec finition marocaine (âqad et sfifa) –– production aujourd’hui commercialisée dans les corners des principaux cinq étoiles marrakchis et qui lui assure la pitance ––, Noureddine Amir se fait surtout connaître par ses étonnantes créations que la presse spécialisée a baptisé, faute de mieux, des « « robes-sculptures » ». À l’intersection entre de l’art et de la mode..
Des palaces marrakchis et des musées internationaux
Ce n’est pas un hasard si les œuvres du designer ont autant trouvé leur place exposées dans des musées que défilant sur des podiums. La liste est longue, éclectique et fastidieuse.
Quelques jalons. Casablanca : participation régulière aux défilés annuels Casa Festimod et Caftan, une exposition collective à la Loft Art Gallery. Marrakech : défilés dans les palaces La Mamounia et le Royal Mansour, expos à l’Institut français, ou encore au Palais Bahia (dans le cadre de la Biennale de Marrakech). Ceci pour la scène nationale.
À l’international l’international : Musée de la mode (MOMU) à Anvers,, mMusée des Beaux-Aarts de Lille,, Musée public national d’art moderne et contemporain (MAMA) à Alger,, Palais des Beaux-arts à Bruxelles, et autre My Fair Hôtel à Londres.
Pierre Bergé ou l’ultime geste d’un mécène avisé.
Octobre 2014, Institut du Mmonde arabe à Paris. L’ex-ministre de la Culture et actuel maître de céans, Jack Lang, fait faire le tour de l’exposition collective, « « Le Maroc contemporain » », à Pierre Bergé. Elle comprend les œuvres d’une trentaine d’artistes et de designers. Bergé tombe en arrêt devant les robes-sculptures d’un certain Noureddine Amir dont il n’a jamais entendu parler. L’homme d’affaires français et ex-compagnon du couturier Yves Saint Laurent demande à voir rencontrer l’auteur. Amir n’est pas à Paris. Ils se verront à Marrakech, dans la mythique villa Essaâdaa, jouxtant le Jardin Majorelle. « « Vous ne copiez personne » », décide l’intraitable Bergé. Amir aura droit à une belle rétrospective au siège de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, avenue Marceau à Paris. C’’est la dernière exposition avant la fermeture de l’’hôtel particulier pour sa transformation en musée. (…) Retrouvez la suite du texte dans SOMETHING WE AFRICANS GOT #6
SOMTEHING WE AFRICANS GOT #6
Juillet 2018
Jamal Boushaba