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Sindika Dokolo « IncarNations » / Interview Alix Koffi

In something we Africans got issue #8
In issue #8, find our selection on :
Architecture in part 1 
Congo(s)’s intellectual and art scene in part 2
Cultural links Africa – Switzerland in part 3

 

« Cette idée de l’art capable d’exorcisme, mêlant Senghor et Picasso, m’a donné cette autre idée, que je garde en moi depuis quatre ans, et que j’appelle pai, « père » en portugais, en référence à mon père – c’est le « powerful art of exorcism « .

– Sindika Dokolo

Sindika Dokolo à Bozar, Bruxelles © Marie Rouge pour « Libération »

Sindika Dokolo est né en République démocratique du Congo. D’un père congolais et d’une mère danoise, il a des attaches à Bruxelles, en Belgique. Son mariage l’a installé en Angola, à Luanda. Dokolo est un homme d’affaires, parmi les plus fortunés d’Afrique, souvent présenté comme le plus grand collectionneur d’art africain ou comme le plus grand collectionneur africain d’art contemporain. Est-ce l’un ou l’autre ? Et d’où lui vient cette envie de collectionner l’art ? Cet entretien a été réalisé pendant la préparation d’IncarNations, une exposition présentant une partie de sa collection à BOZAR, Bruxelles, du 28 juin au 6 octobre 2019. 

Alix Koffi : Quelle idée derrière cette exposition ? En commençant par le pourquoi de son titre : IncarNations.

Sindika Dokolo : J’imaginais le titre Embodiment, que je voulais pousser à « embodiisme », un néologisme qui pourrait évoquer au public une philosophie. Et ceci traduit mon intention : en montrant cette collection, j’entends partager avec d’autres ce que j’ai découvert en la construisant, ce sur quoi j’ai mis le doigt par un concours de circonstances, et finalement le résultat de ce parcours. J’aimerais que cela ait un effet contaminant en tant que nouvelle pratique – une sorte de nouvelle école. C’est l’ambition de toute la partie littéraire qui accompagne l’exposition. 

Je voudrais que d’autres puissent aborder cette collection avec de nouvelles perspectives, en venant en tant qu’artiste, en tant que philosophe, historien de l’art, opérateur culturel… Je voudrais que les visiteurs considèrent la sélection d’œuvres présentées en oubliant que c’est un marché, en neutralisant le concept de la collection comme possession personnelle mue par un plaisir égoïste. La révolution de la dématérialisation d’internet amène une autre définition de la propriété artistique et intellectuelle. 

Kendell Geers. The Sindika Dokolo Collection
Zanele Muholi. The Sindika Dokolo Collection

Mon questionnement est le suivant : comment peut-on, aujourd’hui, en revisitant le concept originel de collection, retrouver cette forme de pratique artistique très avancée ? Cette pratique qui existait dans plusieurs civilisations, où l’art classique intervenait dans la vie de la cité de manière tellement plus profonde que ce que nous vivons aujourd’hui avec l’art contemporain.
Cette réflexion pourrait résoudre nombre des contradictions que nous abordons dans la création contemporaine. Qu’est-ce qu’un artiste ? Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Qu’est-ce qui lui confère de la valeur ?  Nous sommes à la fin d’une époque. La création artistique va devoir se remettre en cause, retourner à l’essentiel. 
Cette idée d’« embodiisme » – ce qui rend l’artiste unique et comme touché par la grâce – c’est un don qui vient de la providence. Être capable de placer dans un objet physique quelque chose qui soit une énergie, de l’ordre de l’invisible, et qui nous touche. Une incarnation. Quelque chose d’indicible nous saisit lorsqu’on aborde une œuvre d’art. 

Qu’est-ce qu’un artiste ? Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Qu’est-ce qui lui confère de la valeur ? Comment répondriez-vous à ces interrogations ?  Je pense qu’une œuvre d’art qui sollicite tous vos sens, qui vous remue l’estomac et provoque une sorte de réminiscence en même temps qu’elle vous émeut et vous effraie, est bien supérieure à une pièce conceptuelle un peu fumiste et sur-intellectualisée.

Vous dites vouloir partager « ce sur quoi vous avez mis le doigt par un concours de circonstances ». À quoi faites-vous allusion ? Je considère mon parcours en tant que collectionneur et en tant qu’Africain comme un voyage, et ce voyage a commencé avec mon père et ma mère, eux-mêmes collectionneurs. Ils m’ont initié à l’art classique. Ce fut complètement naturel. J’évoluais parmi les objets dans la maison, c’était très intéressant parce que très éclectique – mes parents étaient des personnes très ouvertes, les pièces classiques côtoyaient le mobilier moderne scandinave.  J’ai grandi avec l’idée que les éléments étaient proches, sans cloisonnement. J’ai grandi avec le sentiment d’appartenance à cet univers… Je n’en avais pas conscience ; c’était comme une petite graine plantée en moi, qui n’a pas germé mais carrément explosé le jour où j’ai découvert Basquiat, il y a une vingtaine d’année. Je l’ai vécu comme un coup de poing, quelque chose qui s’imposait à moi comme une évidence. Pharynx représente un personnage noir avec des dreadlocks assis de profil ; il émane de cette toile quelque chose de très proche de l’énergie, de la puissance de l’art classique, et en même temps une expression très contemporaine.

Et depuis ce choc avec Basquiat ?  Je me suis imprégné d’art africain à travers ma fondation à Luanda créée avec l’artiste Fernando Alvim. Cette vigueur, cette puissance m’a enthousiasmé ; j’ai commencé à collectionner. C’était un travail d’expérimentation, je rencontrais les artistes. J’ai eu de nombreuses collaborations, notamment avec Simon Njami (auteur, commissaire d’exposition suisse-camerounais, NDLR), ou avec certains artistes, dont mon ami Kendell Geers. Ces collaborations sont allées dans différentes directions, pour explorer, expérimenter.
J’avais aussi débuté une collection d’art classique dans un cadre plus intime et privé. Je travaillais avec deux marchands, un Belgo-Congolais à Bruxelles, Didier Claes – et un Parisien, Tao Kerefoff. J’ai beaucoup acheté, j’ai beaucoup lu, appris… Je me suis énormément cultivé. 
Plus tard, j’ai réalisé que je n’avais pas deux, mais une seule collection. Je pensais que mes pièces modernes et classiques étaient parallèles mais, à l’instar de Pharynx qui concentrait classique et contemporain dans la même énergie, c’était une œuvre unique.

Cette exposition à BOZAR repose aussi sur le texte, avec une grande partie littéraire inspirée d’un livre de Souleymane Bachir Diagne, philosophe et professeur à la Columbia University.  Le livre de Souleymane Bachir Diagne L’art africain comme philosophie, a été mon « illumination sur la route de Damas ». L’idée d’avoir été frappé au ventre par Basquiat, en dépassant la dimension esthétique, c’est exactement ce qu’évoque Senghor (Souleymane Bachir Diagne, NDLR), lorsqu’il dit, « l’émotion est nègre, comme la raison est hellène » : l’idée de ne pas aborder une œuvre d’art avec les yeux mais réellement avec les tripes. Je l’avais donc vécu, c’est une réalité qui s’est imposée à moi et tout était en résonance. Ce coup de poing est ce que je cherche à éprouver désormais dans l’art. Je ne veux plus me contenter d’une expérience esthétique. 
( …) Version intégrale de l’interview dans something we Africans got issue 8. 

 

                                                              in something we Africans got issue 8
 Alix Koffi
Avril 2018


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